Police Fédérale Los Angeles de William Friedkin (1985)


Police Fédérale Los Angeles de William Friedkin (1985)

Encore aujourd'hui on se demande comment a t'on pu penser à adapter « plus ou moins » DEUX FLICS A MIAMI à Los Angeles par Friedkin. Et comment il fut commercialement le pire choix possible pour ses producteurs, mais qu'il devint instantanément notre plus grand bonheur.

Rapide comeback, le personnage est avant tout connu pour trois emblématiques films des années 70 qui représentent à eux seuls les pierres angulaires de leurs genres : FRENCH CONNEXION pour le policier (flirtant avec les prémices de l’actionner criminel même), l’EXORCISTE (pour l’horreur et son vomi vaginal) ainsi que SORCERERS pour le survival et son pétage de cable collectif au sein d'un voyage au bout de l'enfer. Remake d'ailleurs carrément plus dingue que son œuvre originelle à savoir LE SALAIRE DE LA PEUR (oh blasphème !).

Deux flics à LA, pas réellement ceux de Miami

Pour autant a-t-on communément oublié le cinéma de Friedkin ? Certainement pas tant ces seules trois œuvres figurent déjà aux premières heures des cinéphiles naissants avec le temps. Pour le coup il réalise trois tours de forces avant de se foutre sur la gueule avec les studios, ses acteurs, ses producteurs, sa femme, son clebs et son égo de l’époque très surdimensionné. En même temps après trois œuvres aussi tenaces, il y a de quoi. Le type étant aussi connu pour son tempérament relativement intense sur les tournages. En effet, pour tétaniser ses acteurs il n'hésite jamais à tirer des coups de revolvers sur le plateau afin de capter leur peur naturelle à l'écran. L'éducation nationale approves.

Pas besoin de revenir en détails sur les multiples péripéties auxquelles fit face Friedkin durant l’ensemble de sa carrière (tournages catastrophes de l’EXORCISTE et SORCERERS, bide atomique de SORCERERS face à STAR WARS au box-office, l’accueil frigorifique réservé au très spécial CRUISADE...). Mais par conséquent en 1985, la pêche est compliquée. Et peu semblent mordre à l’hameçon du maitre incontesté du film de genre grand public des années 70.

5 minutes de films, trois plans plus tard, Friedkin nous fait gentillement comprendre que rien ne se passera comme prévu.

Seulement voilà, personne n’oublie les chefs d’œuvres réalisés la décennie passée. Malgré l’argent perdu et les pétages de câbles rocambolesques, Friedkin reste et restera un des plus grands réalisateurs de son époque - de l'histoire -. Autant dire que lorsqu’il est envisagé une version californienne de 
DEUX FLICS A MIAMI avec le Friedkin au commande, tout le monde s’attend au meilleur comme au pire.

D'ailleurs, la conversation a problablement ressemblé à quelque chose comme : 
« - Mec, t’es capable de nous faire un buddy movie à LA pas trop foutraque, genre DEUX FLICS A MIAMI mais tourné sur LA ? »
« - Mais bien sûr, vas-y envoie ton script, bien sûr que je vais te faire ça. Tranquille tonton. »
Sauf qu'au final...pas du tout.

Si l’histoire dans l’histoire restera dans les petits papiers, Friedkin va alors saisir tous les codes de ces années « de trop » dans le but de tout bruler afin de contempler son sacrifice au premier rang. Carrière commerciale comprise.

William Petersen en Richard Chance
La classe à Dallas ou LA, qu'importe.

Car si l’on évoque tendrement le rêve américain propre aux années 80 dans SCARFACE la même époque avec ses plages idylliques, ses beautées plastiques redondantes, POLICE FEDERALE LOS ANGELES joue clairement la carte du hors-jeu. Stop, on arrête tout.

Ici, la ville suppure, elle te hante, tout est dégueulasse et la haine limace le long des trottoirs. Pire, elle suinte, te hurle à la gueule, dégouline de dégout et d’amertume. Le soleil frappant son bitume encombré de merdes, les gens sont des ordures et errent sans but. Tout pue à des miles et l’odeur nuisible transperce l’écran. Les cocotiers crèvent sous un nuage nocif nucléaire. Oubliez deux heures le glam d’Hollywood et de ses étoiles, seules les putes et la coke restent. Dans un sens encore plus terne. LA n’a jamais semblé aussi éloigné de tout objet visuel. Suicidaire et nihiliste, elle souffre, tousse, menace et t’emmerde. A l’instar de ses protagonistes.

Oh non, non et non non, rien dans POLICE FEDERALE LOS ANGELES ne semble convenir aux adjectifs prônant Los Angeles comme le zénith des states. Friedkin s’éclate avec son jusqu’au boutisme démesuré et dépeint une terrible idée de ce que fut Los Angeles dans les années 80. Autant dire que les producteurs souhaitant un rival à DEUX FLICS A MIAMI se sont gentiment vautrés en proposant le deal à Friedkin. Véritable agent double, Friedkin braque tout et se barre avec ses idées et le pognon en poche, le casse parfait.

La classe visuelle de Friedkin, dont Refn se souviendra pour quelques plans iconiques de son DRIVE

Et ce dès le postulat de départ. Son principal « protagoniste » Richard Chance (superbe William Petersen qui après LE SIXIEME SENS de Mickael Mann ne tiendra pas le choc malheureusement) est un vrai connard. Un connard, mais qui bosse pour les services secrets (on comprend dès lors beaaaaucoup mieux pourquoi le film se nomme POLICE FEDERALE LOS ANGELES, ah les traductions françaises…). Profitant clairement de son statut pour coucher avec sa jolie indic, déjouant les règles instaurées par la police, franchissant allègrement le point de non-retour pour atteindre ses buts et envies : à savoir tuer Rick Masters. Quoi qu’il en soit, c’est lui qui le dit. Il n’écoute aucun conseil et jusqu'au boutiste. C’est un asocial, violent et suicidaire au possible. Bref, peut-être pas un pourri au sens figuré, mais définitivement un flic fiévreux super borderline qui sent le roussi de l'intérieur. 

De l’autre on a donc Rick Master, campé par Willem Dafoe (jeune mais déjà un peu fou faut le dire) qui roule des mécaniques en méchant nihiliste. Il aime bruler ses œuvres d’arts comme des totems sacrés devant lesquelles il se transcende/masturbe. Auquel s’ajoute des expressions faciales démentielles. C’est un sociopathe, violent et suicidaire au possible (oui lui aussi). Il manipule les gens autant que ses billets avec lesquels il ne semble pourtant jamais trouver son bonheur.

Le point de non retour que Friedkin enjambe à grands pas

En réalité c’est bien simple, rien ne sépare ces deux buddies - les haters crieront au déjà vu, mais à l’époque personne n’avait entrevu un truc pareil -. Rien ne les sépare, pas même leur goût pour l’autodestruction spirituelle et corporelle.

La preuve en est, les deux comparses ne rigolent que lorsqu’ils sont en situation de danger ultime – et donc en proie à la mort –, reniant constamment les dangers de leurs actes, refusant la réalité des choses, brulant d’extase de jouer avec la mort. Encore plus troublant, ce n’est pas pour rien que les seuls brefs instants où nos deux gadjios semblent apprécier le moment présent restent leurs brèves rencontres. Il n’en fallait pas plus pour Friedkin pour y glisser une hypothétique homosexualité sous-jacente entre ses deux personnages qui semblent s’attirer l’un l’autre par leur volonté de se foutre en l’air ; eux et tous ceux qui gravitent autour. Une véritable partouze du mal !

Bref, deux flics à Miami, vraiment ?

La regard d'un spectateur s'attendant à un buddy movie à la cool
et découvrant POLICE FEDERALE

Si Friedkin est un as de la transgression, c’est que celle-ci à l’époque ne s’était jamais autant dénudée que face à sa caméra. Voir les séquences chocs de l’EXORCISTE – incroyablement en avance sur son temps, encore aujourd’hui ! – ou même le je m’en foutisme de Hackman dans FRENCH CONNEXION qui flirte avec la légalité. Libre de tout mouvement et agressant clairement le politiquement correct, Friedkin réalise son film comme il le souhaite. Et c’est en autre une des raisons de son échec populaire à l’époque. Personne ne s’identifie à ses personnages sordides et en tout point moralement discutables (même celui campé par John Pankow qui symbolise pourtant la raison jusqu’à à un certain point). Son cinéma se situe dans le domaine du « trop » à l'instar de ces années 80. Bien que sa narration et son histoire n’en souffre pourtant jamais, tous les éléments de ses histoires dépassent les limites que l’on se fixe normalement quant à l’acceptation morale et éthiques de ses personnages.  Mais comme on le dit souvent, vaut mieux trop que pas assez.

Car réside en ces termes la force de son cinéma, Friedkin dessine comme il se souhaite l’antihéros Américain par excellence. SORCERERS n’était fait après tout que de salopards, FRENCH CONNEXION d’une police extrêmement limite, CRUISADE d’un goût pour le sadomasochisme troublant, POLICE FEDERALE LOS ANGELES d’une passion pour le nihilisme le plus total qu’il soit : la destruction de l’autre commence par l’autodestruction de soi même.

" Tu es magnifique "

Le constat est donc sans appel : POLICE FEDERALE LOS ANGELES n’est pas un film très optimiste. Voir son dernier quart d’heure…qu’on n’a jamais vu ailleurs en réalité. Mais qui pour autant se déroule dans un univers haut en couleurs et paradoxalement…très vrai. Friedkin ne renie jamais pour autant l’univers dans lequel il vit : les écritos sont verts ou roses fluos – c’est propre à cette époque –, la bande originale de WANG CHUNG est un cliché en soit, tout le monde mastique du chewing gum rose dont le paquet se trouve dans la poche avant droit leur vestes en jean. Ils cabotinent tous à mort dans les rues derrière d’énormes lunettes de soleils, recoiffant frénétiquement leurs brushings de l’espace en écoutant Walkman en main Bryan Adams. Tout est présent. Une bible eighties ni plus ni moins. Le film ne renie jamais d’où il vient et son époque, et c’est terriblement bon.

" Excusez moi, c'est par ici les années 80 ? "

Voilà où le génie de Friedkin réside, de nous détourner de sentiers battus sans pour autant nous perdre au passage. De nous amener dans l’inconnu au sein du déjà vu. Le film pastiche donc certaines scènes de son époque pour renverser la tendance. Comme cette invraisemblable scène d’amour très eighties entre Richard Chance et son indic. Scène qui sera transgressée quelques minutes plus tard par une conversation humainement très dure où Chance joue de sa stature pour rabaisser socialement et moralement l'autre personnage. Si cela ne colle pas toujours comme l’aurait souhaité Friedkin (on se passerait volontiers de deux trois séquences au jour d’aujourd’hui), le bonhomme ne freine jamais. A l’instar de Chance dans sa suicidaire course poursuite à contre sens (certains y verront une image de Friedkin contre lepolitiquement correct...à prendre avec des pincettes). Scène littéralement encore incroyable à l’heure actuelle. D’ailleurs, on oublie même de le noter tellement ça transpire l’écran, mais Friedkin a un sens du cadre et de la mise en scène magistral. Pas besoin d’en rajouter une couche.

Le sens du cadre

Quand on entend en interview duo Refn / Friedkin que le modeste danois se considère comme « le digne héritier de Friedkin » (question égo, j’acquiesce), le sourire de ce dernier en dit très long sur la nature de ce rictus. Friedkin n’a jamais perdu de sa roublardise.

Comme nombre d’échecs financiers des années 80, l’originalité ne fut pas portée en étendard créant au passages quelques naufrages commerciaux de films pourtant incroyables (BIG TROUBLE IN LITTLE CHINA de Carpenter en premier lieu). POLICE FEDERALE LOS ANGELES en est un autre exemple mais qui reste un très grand film de son époque. Et il l’est toujours aujourd’hui. Foncez bon dieu, foncez !




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